Dans cette étude sur l’environnement de la gestion d’actifs et l’émergence des fintech, je vais partager avec vous les impacts que la transformation numérique a eu et va avoir sur l’industrie.
1 – La transformation numérique a commencé il y a 30 ans
2 – Les outils permettant son explosion apparaissent seulement
3 – Ceci ne facilite pas la vie des acteurs historiques
4 – Les nouveaux outils ouvrent de nouveaux canaux et de nouveaux segments
5 – La croissance dépend donc de nouvelles règles et de nouveaux acteurs
6 – La gestion d’actifs va vivre sa transformation numérique
7 – De nouveaux acteurs vont challenger les acteurs historiques
8 – Les compétences des collaborateurs vont évoluer
1 – La transformation numérique a commencé il y a 30 ans
J’ai eu la chance de démarrer ma carrière en tant que trader avec l’apparition des technologies informatiques en bourse.
Par exemple j’ai pu exécuter les premiers arbitrages informatisés avec mon polytechnicien de chef en envoyant des fichiers en hexadécimal 40 fois plus vite que les saisies manuelles.
Ceci m’a permis de vivre les prémices de la transformation du producteur (trader/gérant d’actifs) en utilisateur et celle du consommateur (professionnel ou particulier) en… utilisateur.
La caractéristique numéro 1 de la transformation numérique est justement le monde du UtoU (user to user).
Mon expérience ultérieure dans les sociétés de gestion m’a permis de m’intéresser à l’expérience utilisateur et par exemple de mettre en place des rapports d’erreurs que les utilisateurs adoraient remplir (plutôt que de cacher l’erreur sous le tapis avec les anciens formulaires.)
Puis à mettre en place des outils informatiques de relation entre utilisateurs internes ou externes. (reporting, alertes de risque..)
C’était la première phase de la transformation numérique, nous rêvions déjà des applications temps réel !
Comme nous allons le voir, les fintechs apparaissent grâce à la disponibilité de nombreux outils améliorant simultanément production et distribution.
Mes premiers métiers m’ont immédiatement sensibilisé à l’innovation et au lien permanent entre performance de la production et de la distribution.
Forcément, après un quart de siècle de nez dans la gestion d’actifs, cet entraînement et cette exposition à l’usage m’ont attiré comme un aimant dans la mouvance fintech.
Je vais donc vous proposer ici mon expérience de l’innovation/disruption et de la transformation digitale.
2 – Les outils permettant son explosion apparaissent seulement
La disruption arrive de cette double disponibilité d’outils améliorant la production et la distribution : pour vous résumer cela en une phrase :
les outils big data et machine learning transforment le coût de production et permettent l’ouverture de nouveaux canaux de distribution numériques qui abaissent le coût d’acquisition client.
Les anciens schémas BtoB et BtoC sont remplacés par un nouveau schéma UtoU (User to User).
3 – Ceci ne facilite pas la vie des acteurs historiques
Comme l’ont constaté les autres industries touchées par la révolution numérique, cette évolution est initiée par de nouveaux acteurs (dans l’industrie financière ce sont les fintechs) et non par les acteurs historiques.
Principalement à cause de la dette technique.
Connaissez-vous la dette technique ?
C’est la transposition en informatique de la notion de dette : les spécificités de conception d’un système informatique induisent des coûts futurs, une sorte d’ intérêts. On parle de dette technique, par analogie avec la dette dans financière.
Cet intéressant concept peut-être décliné : plus une organisation devient complexe et importante, plus elle embarque des dettes : dette de formation, dette culturelle, dette organisationnelle, dette d’image…
Pourquoi commencer un papier sur les fintech par ces notions de dettes, me direz-vous ?
Justement parce que les sous-jacents de la disruption et les principes de la révolution numérique titillent les acteurs historiques dont la manœuvrabilité est défiée.
Vous avez, comme moi constaté que l’industrie financière, et particulièrement la gestion d’actifs se sont considérablement complexifiés depuis 30 ans, à la fois grâce à une forme d’inventivité des acteurs et aussi à cause d’une réglementation de plus en plus chargée.
Un temps, cela a constitué un barrière à l’entrée, les moyens informatiques se concentrant sur les fonctions support.
Coté incestueux ou consanguin de l’innovation et de la régulation, la plus grande partie des moyens informatiques ont été déployés ces dernières décennies pour faire face à la complexité réglementaire. Mais voilà…. Désormais les fintechs intègrent la régulation dès l’origine grâce aux outils big data à un coût très réduit.
4 – Les nouveaux outils ouvrent de nouveaux canaux et de nouveaux segments
L’évolution prodigieuse des outils informatiques (de plus en plus performants)
et de l’accès à l’information (de moins en moins coûteux) apportent aujourd’hui des solutions de rupture à la fois côté production (aide à la décision grâce au big data et au nosql, optimisation des décisions grâce au machine learning, baisse des coûts) et du côté distribution (ouverture des canaux numériques, metrics très fins des clients, adaptabilité de l’offre produit, simplification de l’expérience utilisateur).
Vous comprenez dès lors que cela permet à des acteurs agiles et nouveaux d’entrer dans l’industrie en captant très rapidement des créneaux margés, mais surtout, en baissant leurs tarifs, de pétrifier les acteurs historiques.
C’est ainsi que peut commencer une « uberisation » !
Qui plus est, le point d’entrée des fintech est un créneau souvent laissé pour compte : le BtoC et la génération Y.
Le BtoC a en effet longtemps été considéré comme l’apanage des grands réseaux financier et le coût d’acquisition client de ce segment comme rédhibitoire.
Ce n’est plus le cas.
La génération Y qui a pris de plein fouet les crises de 2000 et 2008 a de plus une image très dégradée de l’acteur historique et des habitudes de consommation en rupture (grand nombre de petits achats, recherche de la gratuité apparente)
La génération Y est surtout très adepte du web 2.0. C’est à dire de l’interactivité et du quasi sur mesure.
Vous vous souvenez du web 1.0 et de la pratique de gestion de masse de la gestion d’actifs, ce concept de « one size fits all » est complètement incongrue pour le nouvel utilisateur qui remplace l’ancien consommateur.
C’est lui qui va avoir le pouvoir économique pour le demi siècle à venir et.. c’est aussi cette génération qui éduque les générations précédentes sur le numérique !
5 – La croissance dépend donc de nouvelles règles et de nouveaux acteurs
L’une des caractéristiques les plus remarquables de ce changement est la propagation. Positive (cf Amazon – « marque préférée de francais) ou négative (cf Volkswagen), la propagation touche à tout (image, usage..) et impacte fortement le coût d’acquisition.
Bref, les nouvelles valeurs : simplicité, accessibilité, transparence, interactivité, personnalisation, coûts attractifs sont le moteur des usages de la génération Y et par propagation des autres générations (les plus de 65 ans sont par exemple l’un des segments ayant la plus forte croissance sur les réseaux sociaux).
Dans cet environnement, nous voyons que les fintech se mettent en place en quelques mois avec des outils de production parfaitement agiles.
Comme nous le montre « the periodic table of financial technology, les nouveaux acteurs foisonnent depuis 5 ans :
6 – La gestion d’actifs va vivre sa transformation numérique
Tout cela dit, contrairement à de nombreuses autres branches de l’industrie, la fintech reste encore relativement confidentielle en gestion d’actifs pure.
On y voit principalement les roboadvisors (Wealthfront, Betterment – Fundshop – Marie Quantier) des multigérants (Coinvestor) et… même pour les plus gros, une part de marché encore infime à l’échelle de l’industrie (Wealthfront, le plus gros du moment annonce 2.6 milliard de dollars d’actifs contre 50 000 milliards pour les 400 plus gros gérants mondiaux).
Par contre la croissance de ces nouveaux acteurs est très significative (70 %/an) et… ne fait qu’accélérer !)
Plus impressionnante est la vague des personal savings app ou du personal saving online.
Services très proches de la gestion d’actifs en ce qu’ils alimentent ou s’appuient sur des fonds monétaires.
Le plus gros : Yu’e Bao, issu de la plate forme AliBaba est monté à près de 100 milliards avant de connaître des retraits liés à la faiblesse de intérêts et à la crise du marché chinois. Mais déjà des Oinky, Digit, Acorns, Accumulate commencent à proposer des app d’épargne individuelle qui s’appuient peu ou prou sur des fonds monétaires.
Ces acteurs attaquent directement la gestion collective et le métier du gérant d’actif, mais d’autres acteurs s’attaquent aussi à la collecte d’épargne avec de modèles parfois très différents :
On notera bien sûr les solutions « crowd » un peu plus complexes telles Lending club bien sûr, Prêt d’Union, Lendix, ou Finexcap qui viennent elles aussi utiliser des mécanismes proches de la gestion d’actifs. Tout comme le crowd investing avec des acteurs comme crowd cube.
Enfin, les brokers ne sont pas en reste et des entreprises comme MotifInvesting, Wikiwealth ou encore InvestorGuide présentent des outils d’aide à la décision permettant à l’investisseur de construire lui même son portefeuille et de traiter ensuite directement ses placements.
Côté production, l’Asset manager 2.0 se voit offrir le concours des spécialistes du BigData et du Machine learning (QuantCube – Infotries…) de la recherche crowdsourcée (Estimize), des services intégrés (Addepar) mais ces mêmes outils vont résoudre d’autres soucis quotidiens : le détection de fraude, le suivi des obligations de gouvernance, risque et compliance…
Du côté distribution, l’adaptabilité permanente à la demande de service de la clientèle déjà habituée aux nouvelles offres des autres industries est une caractéristique clef de la transformation digitale.
Le moteur est ce que le startuper appelle les « metrics » : mesure continue des pratiques des utilisateurs, ces mesures commencent bien sûr par l’identification des meilleurs canaux d’acquisition client et contribuent au growth hacking
Citons «Presse Citron» : Le Growth Hacking, avant d’être une série de connaissances et de compétences, est avant tout un état d’esprit. Un état d’esprit porté par l’ouverture, l’imagination et la remise en cause de toutes les actions prises par les données et les tests. http://www.presse-citron.net/introduction-au-growth-hacking/
7 – De nouveaux acteurs vont challenger les acteurs historiques
Les années à venir vont donc voir une totale révolution dans les pratiques des gérants d’actifs.
C’est là que revient le sujet de la dette technique, face aux acteurs historiques, il y a :
– les nouveaux acteurs que nous venons de voir émerger grâce entre autres aux baisses de coûts, donc de barrière à l’entrée que leur permet la technologie
– et les acteurs non financiers (Télécom- cf les intentions déclarée d’Orange, Grande distribution, Géants des réseaux sociaux) qui peuvent être très tentés d’investir la place car leur propre personnel est déjà un vivier de clientèle et que bien sûr ils peuvent proposer un nouveau service à leur base de clientèle.
Quand vous voyez que les points morts des startups sont à quelques centaines de milliers voire parfois quelques dizaines de milliers de client, vous comprenez l’appétit !
En résumé, l’infrastructure technique et humaine de l’acteur historique peut être un frein à l’évolution : il doit l’intégrer à un existant, là ou le startuper pur n’a aucunes contraintes et l’acteur non financier n’a pas d’interaction bloquante avec son existant.
En effet, l’acteur historique se concentre sur ses segments connus et, si il entame quelques initiatives sur les nouveaux canaux de distributions, il reste très contraint par son infrastructure existante .
…dixit les personnels de BFI (les plus en avance côté production en théorie) :
Pourquoi vous n’aimez pas travailler chez BNP Paribas
(…)
3 – Et le tout digital n’est pas encore pour demain : « Informatique d’un autre âge, process trop lourds » « Processus de projets longs et peu flexibles »
Pourquoi vous n’aimez pas travailler chez Natixis
(…)
3 – Pas toujours facile de maîtriser l’outil informatique : « Système informatique issu de plusieurs fusions »
La tactique de l’acteur historique sera donc plus de faire une veille ou un développement par financement externe afin de ne pas rester contraint par son existant. *
8 – Les compétences des collaborateurs vont évoluer
Dans tous les cas, cette révolution impose un staffing aux acteurs non financier et un restaffing pour les acteurs historiques :
La connaissance métier est bien sûr un prérequis, ne serait-ce qu’à cause de la complexité réglementaire.
Mais la capacité à appréhender les nouveaux outils, à analyser rapidement les metrics issus des usages clients et à avoir une compréhension de la nouvelle concurrence, bref à intégrer tous les paramètres de la transformation numérique est l’élément le plus critique à assurer dans les compétences du staff.
Enfin, l’aboutissement de tout cela (et l’argument qui emportera l’adhésion des nouveaux utilisateurs est le HCD (human centered design) qui comprends les nouvelles UI (User Interfaces) et le UX design (design de l’expérience utilisateur.)
Les vainqueurs dans l’économie numérique sont ceux qui rendent les choses simples (comme apple qui a fait des smartphones qu’un enfant de deux ans sait manipuler).
…comme la gestion d’actifs apparaît à ses utilisateurs complexe et parfois incompréhensible (amenant en BtoB à des appels d’offre de 500 pages et en BtoC à une incompréhension généralisée telle que les seuls arguments sont fiscalité et performance) vous comprenez comme moi que les gagnants de demain sont ceux qui auront compris le UX design !
Bref nous sommes dans le monde du U to U (utilisateur à utilisateur). Comme vous l’avez compris, c’est un savoir faire et aussi un état d’esprit !
*Pour parler d’actu La SG avait été la première à complètement externaliser sa gestion d’actifs dans Amundi, l’accélération du mouvement avec l’entrée en bourse de cette dernière, tout comme les changements de direction chez BNPParibas Investment Partners accompagnés de rumeurs récurrentes de cession ont sans doutes le besoin d’agilité comme moteur.
Cet article date de 2010 ? ça fait bien longtemps que les projets « fintech » attaquent la gestion d’actif (un exemple pris au hasard: les ETF. Comment seraient-ils gérés sans une technologie efficace ? Surement pas celle de la DSI de Natixis en effet)
Sourire… Malgré la date de parution de mon article, il ne s’agit pas d’un avatar de « retour vers le futur » 🙂
Si effectivement les ETF datent des années 2000, c’est juste un repackaging de la gestion indicielle qui elle a commencé à la fin des années 80 avec l’exécution de paniers.
Ce n’est qu’avec les roboadvisors, comme je l’indique, que la notion de « fintech » peut-être évoquée : il y a deux apports essentiels avec une adaptation du portefeuille au profil de l’utilisateur et une distribution quasi essentiellement en e-commerce.
Votre remarque me permet d’ailleurs d’insister sur le fait que ces premiers entrants dans le transformation digitale cherchent bien à uberiser le secteur.
C’est d’ailleurs logique : s’attaquer aux lourdeurs d’une chaîne de valeur.
Cela dit, la transformation de la gestion discrétionnaire (qui est fatalement plus complexe) est bien la prochaine étape.
Tous les outils sont là.
encore une fois, la notion de « fintech » n’est qu’un buzz marketing.
Tous les ETFs ne sont pas forcement indiciels.
Les ETFs se démarquent par leur liquité et leur structure de frais, 2 éléments qui n’existent pas à ce niveau dans la gestion indicielle classique. Seule une automatisation poussée permet de gérer ces fonds à ces coûts.
En gestion non-indexée (qui est différente de la gestion discrétionnaire, par définition humaine puisque non-algo), les CTA existent depuis des décennies et sont pour majorité bien plus technologiques que les dernieres « fintech » actuelles.
C’est une opinion, ne confondons pas cependant « fintech » et révolution numérique.
La gestion d’un ETF reste très basique en terme d’algo et la distribution BtoC de fonds ou trackers sur le net en est encore aux préludes.
– côté distribution, le e-marketing n’en est qu’à ses balbutiements en finance (j’ai constaté que plus de 90% des sites de SGP ne sont pas google mobile friendly par exemple, ce qui veut dire qu’il ne profitent pas du canal web ) – on constate aussi que le mapping du coût d’acquisition clients est généralement peu maîtrisé et les metrics souvent difficiles à trouver.
– côté production, Blackrock itself voit un grand intérêt dans la transformation digitale et les outils big data !
– côté CTAs : il n’y a pas encore tant de concurrents de covestor pour les distribuer ! 🙂
Deux papiers très intéressant dans l’optique de la transformation digitale :
– Les 5 étapes du déni – une analyse de la réaction classique de la filière historique à la disruption
– La Fintech française façe aux banques – une réflexion plus axée industrie financière.
…et un papier fort judicieux sur l’impact long terme de la révolution numérique :
Le Digital va-t-il bientôt ralentir, pour se déployer dans l’Economie Réelle et la transformer en douceur ?